Reportages divers
11
Mai
2014

[Publié à l'origine dans C Le Mag N° 86]

 

La région Centre-Hérault recèle depuis de nombreuses années de diverses manifestations de qualité dont la taille diffère mais dont la renommée ne fait que s'étendre. Les Nuits de Gignac (NG), les Voix de la Méditerranée à Lodève (VM) et Remise à Neuf (RN) sont désormais des événements incontournables car ils proposent au public, parfois depuis de nombreuses années, des affiches de grande qualité. Mais derrière les visuels que l'on voit fleurir sur les murs de nos villes il y un très important travail en amont...

Quand on va à la rencontre des organisateurs de tous ces festivals, au tout début de la chaîne de construction c'est évidemment la passion de la culture sous toutes ses formes (ici musiques, théâtre, poésie...) qui déclenche le premier pas. Chacun a ensuite sa façon de faire pour accroître la renommée du festival qu'il organise. Et si d'après nombre de ses acteurs une certaine disette semble sévir de nos jours dans le milieu de la culture, habituelle cinquième roue du carrosse français loin derrière la Défense et les autres, les organisateurs ont là encore des ressources diverses sachant que l'on imagine aisément que la volonté personnelle, le bénévolat et le mécénat initiaux ont chacun leurs limites. Les leviers, économiques et parfois politiques, sur lesquels compter pour faire d'un festival un événement incontournable de par l'importance artistique de l'affiche sont aussi un sujet à aborder. Cette petite table ronde virtuelle apporte quelques éléments, chacun se fera son opinion.

NG: l'association les Nuits de Gignac et son festival les Nuits Couleurs développent une sorte de "Culture Populaire Accessible": itinérance, accessibilité tarifaire, concert au coeur des villages, égalité de traitement entre tous les villages, tout en maintenant une programmation pointue, ouverte et construite autour de découvertes. Sans oublier un démarche d'éco-festival. Ensuite pour être aidé, un projet "culturel" doit s'inscrire dans de nombreux autres domaines comme le développement territorial, le social, le développement professionnel etc... Pour notre part, nous bénéficions d'un soutien financier et matériel de la Communauté de Communes Vallée de l'Hérault, du département et de la Région, des communes participantes et de partenaires privés (association, vignerons, entreprises, médias, habitants etc...). Et bien sûr, nous avons un autofinancement assuré par nos recettes buvettes qui permettent le fonctionnement de l'association. Mais au delà des relations financières, notre association perdure grâce aux nombreuses collaborations avec d'autres structures (prêt de matériel, mise en réseau des informations, diffusion des supports de communication etc..). La première étape de vie d'un projet, la plus cruciale, est la pérennisation de celui ci. Pour nous cela est passé par le choix de sortir des emplois précaires et de stabiliser les actions et dégager des revenus pour vivre de notre travail. Après le projet pourra prendre une nouvelle envergure en ouvrant d'autres pistes d'actions qui sont tout autant de risques. Pour cela  on construit des partenariats avec les institutions et les privés, ce qui implique une écoute, un suivi et une discussion ouverte sur le projet et ses limites. Notre travail consiste également à nous adapter pour faire face aux nouvelles réalités du secteur et des comportements des spectateurs. Les règles de la musique ont été bouleversés depuis l'arrivé d'internet. Les" buzz" du moment réalisent le tour d'Europe des gros festivals et côtoient les légendes indémodables. Les labels mettent la clé sous la porte et les distributeurs réduisent leurs rayons ! Du coup les groupes se rattrapent sur les cachets des concerts. En 10 ans certains groupes qui prenaient  15 000 fr se vendent aujourd'hui 15 000 € et ça a tout changé ! Notre programmation s'est donc tournée vers la découverte, on cherche les groupes de demain. 

VM: A Lodève, à peu près 150 artistes sont présents pour le festival et pour la ville c'est une véritable gageure de voir se déployer chaque année un projet d'une telle envergure. C'est aussi un engagement fort et réel de la Communauté de Communes qui mise sur la culture comme levier de développement  Le budget a été revu à Lodève sans pour autant perdre en qualité artistique, la région et le département, avec une participation de l'Etat, représentent presque la moitié du financement, pour le reste le partenariat (Instituts, réseaux, médias) et le mécénat sont aussi de la partie. Car la billetterie payante ne représente qu'un faible pourcentage sur la totalité des manifestations. Le festival a grossi un peu vite avec les années, il a fallu rééquilibrer les comptes. Pourtant une grande partie des Voix reste gratuite, fidèles au leitmotiv de démocratisation de la poésie qu'affiche le festival depuis le début, des contacts avec par exemple les Maisons de la Poésie ou l'Institut du Monde arabe font aussi beaucoup pour la diffusion des Voix. La forte ambition d'une petite commune comme Lodève à changer d'image et déclencher plus d'attractivité sur son territoire mais aussi de nouveaux partenaires et une nouvelle équipe sont autant de moyens de maintenir le festival à son niveau actuel.  

RN: Remise à Neuf a su rapidement s'adapter de ses débuts avec une seule association de bénévoles organisatrice à la construction d'un partenariat avec la Communauté de Communes Lodévois et Larzac (qui s'occupe entre autres des demandes de subventions), la compagnie Humani Théâtre (qui prend en charge la direction artistique) mais également la mairie de Saint-Jean de la Blaquière ainsi que le comité des fêtes du village depuis l'année passée. Un comité de pilotage tous les mois entre les divers intervenants permet d'équilibrer et diriger les différentes tâches. A Saint-Jean le financement se divise en deux, la partie la plus importante est allouée par la Communauté de Communes pour la programmation, la seconde émane directement des recettes du festival en terme de buvette et d'adhésions à l'association, il ne faut pas oublier par ailleurs la volonté de proposer depuis le tout début une majorité de spectacles gratuits et il faudra compter à peine une dizaine d'euros pour les spectacles les plus onéreux. 

La presse, les radios et le net sont-ils toujours aussi présents dans le processus ou y a-t-il de nouveaux vecteurs  sur lesquels compter ?  Quel est par exemple l'impact des réseaux sociaux dans la diffusion, la promotion d'un projet culturel ? Le bouche à oreille est-il toujours à l'ordre du jour ?  

NG: pour la promotion nous avons réduit nos impressions mais revu nos supports en distribuant localement un livret de 40 pages avec la programmation détaillée, suivi d'affiches et de flyers. Nous mettons également l'accent sur la communication par internet, les mailing-lists, les réseaux sociaux, et notre site, pour le public connaissant l'événement. Presse, radio, TV, internet restent primordiaux.... mais le meilleur vecteur reste le bouche à oreille !!! Et aujourd'hui le bouche à oreille ce sont aussi les réseaux sociaux ! Pour Gignac cela n'intervient qu'à l'étape finale, celle de la communication. Construire un projet c'est avant tout se déplacer à la rencontre des gens dans les petites salles, les clubs, les théâtres, discuter entre professionnels... 

VM: Les réseaux sociaux sont très efficaces quand on peut les gérer au jour le jour toutefois ils requièrent beaucoup trop de temps au sein d'une petite équipe telle que la notre. Les médias traditionnels (radios, journaux) sont quant à eux toujours aussi importants dans la promotion du festival. 

RN: Les médias classiques ainsi que les mailing-lists sont utilisés pour les Remises, la piste des réseaux sociaux reste cependant à explorer plus en avant bien que la petite taille du village et des lieux recevant les spectacles ne nécessite pas vraiment une expansion, on devrait sinon refuser du monde à l'entrée ce qui n'est pas pensable. 

Comment voyez-vous le futur des manifestations culturelles en général, de la votre en particulier ? 

NG: On se pose la question chaque année et on n'a pas de réponse, on se laisse la liberté d'évoluer en fonction de nos envies, pourquoi pas programmer du death métal l'an prochain, suivi d'une soirée salsa portoricaine ? La complexité et la fragilité de notre secteur permettent difficilement une anticipation du futur de manière générale. 

VM: A Lodève au niveau local se fait entendre le souhait que les Voix deviennent le point d'orgue intégré dans une saison culturelle globale et pas seulement un moment isolé du reste de l'année, on doit rester prudent face aux difficultés, il ne faut pas crier victoire trop vite, surtout quand au niveau national la culture est totalement absente du discours politique.

RN: Malgré les difficultés éventuelles, Remise à Neuf tient fermement à continuer l'aventure en évitant les redites, à faire grandir et professionnaliser le projet sans diluer son identité ni perdre cette proximité originale entre artistes et public. Les soutiens au festival se maintiennent et on se retrouve à chaque fois pour construire ensemble la prochaine édition.  

© GED Ω- 11/05 2014

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